La pandémie n’a pas entamé l’actualité jurisprudentielle du droit du bail, les crûs 2020 et 2021 ayant apporté leur lot de décisions importantes en la matière. Et comme souvent lorsque l’année s’achève, un bilan s’impose ! Retour sur quelques arrêts rendus en 2021…
Point d’orgue du formalisme du droit du bail suisse, la formule officielle occupe régulièrement les tribunaux. Certaines décisions rendues cette année permettent de mieux cerner les contours de cette obligation dont la finalité est l’information du locataire.
- Le locataire n’est pas toujours fondé à se prévaloir des lacunes de la formule officielle
Dans l’avis de fixation du loyer remise au locataire lors de la signature du bail portant sur une villa, toutes les rubriques n’avaient pas été complétées. Ce point n’est pas soulevé immédiatement par la locataire, qui tente vainement et à plusieurs reprises de résilier le bail de manière anticipée, estimant le loyer trop élevé. Face aux refus réitérés du bailleur, elle finit par en invoquer la nullité, près de 2 ans plus tard, en se fondant cette fois sur les lacunes de la formule qui lui avait été notifiée.
Dans un arrêt du 12 mars 2021, le TF confirme le raisonnement des juges cantonaux et retient l’abus de droit du locataire à invoquer la nullité du loyer. Le déroulé des faits démontrait que la locataire était bien informée de sa possibilité de contester le loyer initial, puisqu’elle avait, dès le début, fait état de contre-temps l’ayant empêchée d’agir dans le délai de 30 jours. Elle avait donc bien connaissance de ses droits, mais avait sciemment renoncé à la voie de la nullité, pour lui préférer celle de la résiliation anticipée. Cette attitude contradictoire permet de conclure que sa réelle volonté était de quitter les locaux rapidement (ce qu’elle a d’ailleurs fait) et non d’obtenir une baisse de loyer. Dans ces circonstances, invoquer la nullité du loyer constitue un abus de droit, puisque cette institution juridique est alors utilisée de façon contraire à son but.
- Sortie LCAP : pas de formule officielle pour l’intégration du montant de la subvention au loyer
La loi fédérale encourageant la construction et l’accession à la propriété (LCAP) instaurait un dispositif d’aides, ayant pour contrepartie des loyers encadrés. Lorsque le loyer cesse d’y être soumis, les dispositions du CO, notamment celles sur la protection contre les loyers abusifs et l’augmentation des loyers, deviennent applicables.
Si le bailleur désire augmenter le loyer, il est donc tenu de respecter le formalisme de l’article 269d CO et d’utiliser la formule officielle.
Le TF, dans un arrêt du 1er septembre 2021, précise cependant que si la hausse de loyer correspond purement et simplement au montant de la subvention étatique, l’intégration de celle-ci dans le loyer ne constitue pas une majoration de loyer, car elle ne s’analyse pas en une augmentation de loyer décidée par le bailleur. Elle n’a par conséquent pas besoin d’être notifiée sur formule officielle pour être valable.
Le locataire tentait également de faire valoir que l’abaissement supplémentaire constituait une modalité de paiement du loyer, dont la modification devait respecter le formalisme de l’article 269d CO. Cet argument n’a pas non plus été retenu.
- Formule obligatoire si la pratique musicale du locataire est réduite
Lorsque le bailleur restreint les heures auxquelles les locataires peuvent jouer de la musique, il modifie ainsi unilatéralement le bail au détriment du locataire. Il ne peut donc le faire qu’au moyen de la formule officielle et dans le respect de l’article 269d CO, à défaut de quoi la modification est nulle.
- Le bailleur doit prouver avoir notifié une formule complète
Si le locataire conteste la remise de la formule officielle, il appartient au bailleur de prouver qu’il a bien rempli son obligation.
Lorsque la notification a été effectuée par courrier, il est acquis, depuis une jurisprudence de 2016, que si le locataire ne conteste pas la réception du bail, et que celui-ci mentionne que la formule officielle y est annexée, la remise de la formule est présumée à condition que le bailleur puisse produire une copie ou une photocopie de celle-ci. Il appartient alors au locataire de prouver, selon une vraisemblance prépondérante (ex. : recueillir le témoignage d’autres locataires attestant qu’il s’agit d’une pratique courante du bailleur), que l’enveloppe ne contenait pas la formule officielle.
Mais qu’en est-il lorsque le locataire prétend que la formule reçue ne comporte qu’un recto, et donc pas l’information sur les conditions de contestation du loyer et la liste des autorités compétentes figurant au verso ? Le Tribunal Fédéral, dans un arrêt du 12 octobre 2021, considère que la jurisprudence de 2016 ne trouve pas à s’appliquer, car le bailleur n’est pas présumé avoir notifié une formule complète. Il lui appartient donc de prouver avoir notifié une formule officielle complète, à défaut de quoi le loyer est nul.
Malheureusement, le Tribunal Fédéral ne donne pas d’indications sur les moyens dont dispose le bailleur pour se ménager cette preuve ô combien difficile à rapporter ! En l’espèce, le bailleur échoue à rapporter cette preuve, car il avait produit une photocopie recto-verso sur laquelle étaient apposées sa signature et celle du locataire, tandis que le locataire produisait un recto qui avait été signé séparément, mais aucun des 2 documents n’était la copie de l’autre.
Vu les enjeux, le moyen le plus sûr d’éviter toute contestation semble donc une remise en mains propres au locataire, ce qui est compliqué par les temps qui courent ! En cas d’envoi par courrier, la sécurité commanderait d’envoyer au locataire 2 exemplaires signés du bailleur, et de lui demander d’en renvoyer un paraphé et signé de sa main… ce qui repoussera le problème sur un autre terrain si le locataire ne s’exécute pas !
Cet arrêt démontre une fois de plus les difficultés pratiques engendrées par un formalisme qui n’est sans doute plus adapté ni aux contingences matérielles, ni aux évolutions technologiques. Si la fin de l’année est le moment des bilans, c’est aussi celui des vœux ! Alors pour 2022, souhaitons que l’avant-projet de loi ayant pour objet de permettre la signature mécanique sur les formules officielles aboutisse ! Le quotidien des régies en serait simplifié, sans péjorer les droits des locataires.